Testimony : les poèmes du spectacle
Il ramassa un bâton et dit
« Nom de Dieu je vais te briser le crâne»
et il lui ordonna de quitter la maison.
Elle répondit qu'elle partirait quand elle serait vraiment prête.
Il dit: « Tu partiras avant d'être prête »,
et il la poussa vers la porte.
Elle s'accrocha au montant de la porte ;
et leur petite fille se mit à pleurer.
I.53 (scènes domestiques)
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C'était un fabricant de malles, un gros travailleur
qui avait accumulé un peu de bien par son travail
mais pas beaucoup. Un jour il lui laissa de l'argent pour payer une note
mais la note se trouva plus importante que la somme qu'il avait laissée
et elle paya. Il la mit à la porte de la maison,
alors qu’il faisait nuit, et il jeta son chapeau après elle.
Comme elle était malade et ne pouvait quitter la chambre,
il n’appela personne pour la garder, il la laissa entièrement seule ;
il mettait un morceau de pain et un peu d'eau sur une chaise,
et lui disait qu'elle ferait mieux de mourir et de monter au ciel.
Elle voulait un médicament appelé « extrait de laitue ».
Il prit une bouteille vide et dit qu’il allait en chercher
mais en fait il remplit la bouteille d'eau croupie
dans un baquet resté dehors.
Après l’avoir bue,
et qu’elle ait dit qu'elle se sentait bien mieux,
il révéla où il l'avait prise.
Il alla faire une visite au Canada ;
et ne lui proposa pas de l'emmener
il ne lui dit pas pourquoi il ne l'emmenait pas –
alors qu’elle avait envie de l'accompagner.
Quand elle le vit approcher de la maison à son retour,
elle tourna la clé dans la porte pour lui ouvrir,
mais ne lui dit pas bonjour, ne lui parla pas,
et il ne lui parla pas non plus.
Elle lui préparait son petit déjeuner comme toujours,
mais ils ne le prenaient pas ensemble
et ne se parlaient pas.
Un dimanche soir, comme ils étaient seuls dans le salon,
elle lui demanda s'il avait jamais l'intention de lui parler.
Elle dut répéter la question et il répondit,
« Un jour »,
il quitta la pièce, alla dans sa chambre, et ferma la porte.
A la fin, elle lui écrivit une lettre
qu'elle laissa près de son assiette au dîner :
« Notre vie ensemble a été très malheureuse,
avec exceptionnellement ici ou là
un rayon d'espoir.
Je n'ai jamais réussi à être assez près de ton cœur
pour comprendre son fonctionnement ;
et je n'ai aucune idée de tes sentiments
quant à l’avenir.
J'aimerais savoir ce que tu penses
et j'ai pris cette méthode,
ignorant s'il te serait agréable
que je t'approche d'une autre manière.
Ecris-moi ou parle-moi
comme tu voudras. »
Après le dîner, la lettre avait disparu
mais elle ne reçut pas de réponse.
Ils continuèrent à vivre dans la même maison,
et il ne lui adressait pas une seule parole,
ni de colère ni de tendresse.
I.55 (scènes domestiques)
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Elle avait vu son mari enlacer et embrasser Essie –
oui, les avait même surpris ensemble dans les toilettes
et à l’étage sur le plancher –
oh, un tas de fois.
Cette fois, comme elle avait posé la marmite sur la cuisinière
avec le repas dedans
qu’elle avait ramassé quelques bocaux de fruits et vidé des bouteilles de ketchup
et les avait montés au grenier,
juste comme elle était penchée pour poser les bouteilles
la porte s’est ouverte et Essie est entrée.
Elle a demandé à Essie ce qu’elle voulait
Essie a grommelé une chose ou une autre
et soudain elle s’est trouvée à cogner Essie avec une bouteille de ketchup :
le premier coup juste au dessus de l’oreille,
et quand Essie s’est retournée
elle l’a cognée encore sur le haut de la tête.
Essie est tombé sur les genoux
alors Marie s’est souvenue du couteau qu’elle avait dans la poche –
elle l’avait mis là pour défaire une de ses coutures –
et elle a attrapé Essie par l’épaule.
Elle ne se souvient pas combien de fois elle a frappé Essie avec :
il y avait une coupure juste en haut du front de la fille à la naissance des cheveux
et des coupures aux mains et aux bras
comme Essie avait essayé de l’empêcher de lui couper la gorge –
sans y arriver.
Puis Mary a descendu les escaliers
et s’est regardée dans le miroir :
sa chevelure était tombée
ses épingles à cheveux perdues
et son tablier sanglant.
Elle l’a brûlé dans la cuisinière ;
il y avait du sang sur la robe, aussi,
elle a pris une petite éponge et l’a essuyé.
II.146 (difficultés domestiques)
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Les deux femmes étaient amies,
elles vivaient dans deux pièces voisines
avec une porte entre elles.
L'une d'elles avait été mariée
mais ne vivait plus avec son mari.
Ce soir-là elles avaient rendu visite à sa mère
elles étaient de retour à minuit
et chacune alla se coucher
laissant la porte entre elles ouverte :
et, tandis que l'amie de la femme mariée se couchait,
elle vit la femme mariée
agenouillée près de son lit, récitant ses prières.
Deux heures plus tard, l'amie de la femme mariée fut réveillée :
la femme mariée l'appelait.
La première chose qu'elle vit en se levant
ce fut la femme mariée debout au pied du lit
et elle lui demanda : « C’est toi qui m’appelait ? »
« Oui, répondit la femme mariée. Crie ! »
Et son amie dit : « Crie ? »
« Oui, dit la femme mariée, crie, crie ! »
Et son amie, sautant du lit,
vit la femme mariée couverte de sang,
le sang jaillissait de sa gorge.
Son amie dit : « Mon dieu, que s’est-il passé ? »
Elle répondit: «Mari... c’est mon mari... coupé la gorge.»
Son amie la prit aussitôt dans ses bras
et la fit s'allonger sur le lit ;
mais déjà elle ne pouvait plus parler,
juste haleter.
II.254 (cauchemar)
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Cadette de six enfants, elle venait d'une ville en Arménie turque
où ses parents étaient sans le sou.
Elle n'avait que quatorze ans
et elle était jolie – très jolie –
et un compatriote arménien de la même ville
qui partait pour l'Amérique avec sa femme
pensa qu'elle ferait une bonne épouse pour leur fils en Amérique.
Ses parents les laissèrent l'emmener
et elle partit sans argent avec peu de vêtements ;
ils empruntèrent une caravane puis un voilier puis un vapeur et alors –
à cause de retards et de dépenses imprévues –
se trouvèrent bloqués à Marseille
attendant de l'argent du fils en Amérique.
Il y avait là d'autres Arméniens
et l'un d'eux avait un oncle à Boston qui cherchait une femme
et juste alors l'Arménien et sa femme qui emmenaient la fille en Amérique
apprirent de leur fils qu'il ne voulait pas se marier.
Alors le neveu de l'homme à Boston
parla de son oncle à la fille –
trente-cinq ans environ, dit le neveu, et bien établi dans les affaires
et il écrivit à son oncle une lettre où il lui faisait part des qualités de la fille
et de son désir d'épouser un Arménien
qui lui donnerait un bon foyer.
L'Arménien de Boston câbla deux cents dollars à Marseille –
la plus grande partie gardée par le compatriote de la fille
pour les dépenses du voyage de celle-ci jusqu'à Marseille –
et le reste alla au neveu
qui emmena la fille à Londres :
il restait juste assez d'argent pour ça.
Ils descendirent dans une pension bon marché pour Arméniens pauvres
jusqu'à ce que l'homme de Boston vienne lui-même à Londres –
un vieillard de presque soixante ans
qui avait perdu un œil.
Que pouvait-elle faire?
Sans argent ni même des vêtements décents –
ceux qu'elle apportait avec elle étaient maintenant déchirés et irrémédiablement salis –
parmi des étrangers
et incapable de parler une autre langue que l'arménien ;
c'était son destin, conclut-elle,
et elle se maria.
II.204 (personnes et lieux)
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Ce soir-là il avait dit qu'il allait dans une ville voisine
mais il était de retour à huit heures et demie
et trouva la lumière de la lampe baissée ;
sa femme refaisant le lit
et l'homme avec qui il la soupçonnait d'être intime
assis, ses chaussures délacées.
L'homme partit,
la femme dit qu'elle allait faire sa valise
et qu'elle aussi allait partir.
« Si Jim ne peut pas venir dans une maison dont tu payes le loyer, dit-elle,
il peut venir dans une maison dont tu ne payes pas le loyer. »
II.251 (difficultés familiales)
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A l'époque de leur mariage
Andrew pesait environ cinquante mille dollars ;
Polly n'avait rien.
« Il est parti pour la mine,
je voudrais qu'il tombe
et se casse le cou.
Je le déteste.
Je frissonne quand il me touche. »
« Andy, je t'écris une lettre qui va te sembler
cruelle :
tu sais que je ne t'aime pas
comme je devrais,
je sais que je ne le pourrai jamais.
Ne crois-tu pas qu'il vaudrait mieux
m'accorder le divorce ?
Si tu l'acceptes,
je n'aurai pas besoin de vendre la maison de Denver
que tu m'as donnée,
et je te rendrai le ranch de Delta.
Après le divorce,
si tu tiens à moi et que je tiens à toi,
nous pourrons nous remarier. Polly. »
I.102 (scènes domestiques)
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Quand on dit à son mari
qu’elle avait des amants
tout ce qu’il dit fut :
l’un d’entre eux
a peut-être un cigare ;
et il mit le feu à la grange.
I.100 (scènes domestiques)
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Elle avait épousé un blanchisseur chinois.
Ils étaient tous les deux en train de repasser –
son mari dans un coin de la boutique
elle dans l'autre –
Joey passa la tête.
Elle alla jusqu'à la porte, les mains derrière le dos,
criant « Toujours là à regarder, y a rien à faire ! »,
et lui jeta le contenu d'un bol à la figure.
L'enfant hurla de douleur
et un passant le ramena chez lui,
il gémissait.
Ses deux yeux étaient brûlés
et aussi la peau de son visage et les lèvres ;
ses vêtements décolorés
sentaient la soude.
Sa mère vint à la blanchisserie
et cria, « Pourquoi avez-vous fait ça à mon petit garçon ? »
Et la femme du blanchisseur répondit : « Je l'ai fait, oui
et je recommencerais si j'en avais l'occasion.
Comme ça, je les verrais plus à ma porte ! »
Les yeux du garçon se sont infectés.
Ils ont éclaté ils sont tombés
ses paupières se sont collées sur ce qui restait des globes oculaires.
I.210 (enfants)
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Don entra dans un magasin d‘articles d'occasion et demanda au propriétaire, un juif,
de lui montrer quelque chose
et, comme le propriétaire se tournait pour le prendre,
Don le frappa à la tête avec un tuyau de gaz rouillé
enveloppé dans un journal. Don s'enfuit alors
et laissa le propriétaire du magasin étendu sur le sol sans connaissance.
Le lendemain on trouva un autre juif dans son magasin, à presque une rue du premier,
étendu sans connaissance sur le sol,
avec un tuyau de gaz en fer rouillé enveloppé dans un journal
à côté de lui. Un escabeau contre le mur
et une valise par terre
indiquaient que le propriétaire était probablement en train de descendre la
valise d'une étagère
quand il avait été frappé à la tête. L’homme mourut de ce coup.
Ce jour-là Don était dans un saloon du quartier
quand on apprit qu'un autre juif avait été assommé
par quelqu'un qu'on appelait maintenant « Le voyou au tuyau de gaz »;
et Don dit :
« On devrait tuer tous ces foutus juifs ! »
Un jour ou deux après, Don entra dans la boutique d'un tailleur chinois.
Don avait un bout de tuyau de gaz rouillé enveloppé dans un journal –
mais pas assez bien enveloppé pour cacher tout le tuyau –
et demanda à voir un article sur l'une des étagères.
Le Chinois qui possédait la boutique vit le tuyau
et demanda à Don ce qu'il faisait avec
et Don répondit qu'il travaillait pour la compagnie de gaz.
Quand le Chinois se tourna pour descendre l'article que Don avait demandé,
Don le frappa avec le tuyau ;
mais ce n'était qu'un coup raté qui ne l'assomma pas.
Don s'enfuit avec le Chinois à ses trousses –
et fut attrapé. « Espèce de fils de pute, dit-il au Chinois,
je croyais t'avoir tué
comme j'en ai refroidi un paquet dans ton genre. »
II.224 (ennuis dans les affaires)
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Une nuit d’avril ou de mai,
sa fille vit une main
faire sous le rideau soigneusement tiré devant sa fenêtre
une bosse
et courut en chemise de nuit dans la pièce voisine
où lui et son fils se trouvaient.
Il contourna la maison dans un sens
son fils courut dans l'autre sens
et ils trouvèrent un Nègre
sous un établi
à deux trois mètres de la fenêtre
tenant un bout de planche devant son visage –
les suppliant de ne pas tirer.
I.39 (Nègres)
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Miss West était à la maison de son père le soir,
elle parlait avec une voisine dans la pièce de derrière
quand quelqu'un à la porte de derrière appela : « Miss Mary ! »
Il appela trois fois
elle se leva et elle sortit au porche de derrière
et vit un Noir qui était dans le jardin.
Il paraissait ivre.
Elle le connaissait : il avait longtemps habité pas loin
avec sa femme et ses enfants ;
et elle dit : « Will, tu m'as fait peur. »
« Eh bien Miss Mary, si je vous ai fait peur,
je m'en vais. » « Non, dit-elle,
si tu as quelque chose à me dire, dis-le. »
S'il devait dire ce qu'il avait à dire, répondit-il,
les Blancs et les Noirs seraient après lui avec leurs fusils ;
et elle dit : « Si tu dis quoi que ce soit que tu ne devrais pas me dire,
je te tuerais moi-même »,
et elle s'apprêta à rentrer.
« Oh, Mary, restez ! »
« Tu m'appelles ‘Mary’ ? Sors de ce jardin ! »
« Excusez-moi, Miss Mary ; je ne voulais pas dire ça. »
Mais il ajouta : « Je m'en irai quand je voudrai ;
Je partirai comme je suis venu : je marcherai. » Et c'est ce qu'il a fait.
I.140 (Nègres)
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Une jeune Blanche, d'environ quinze ans, marchait seule le long des voies ferrées
avec son petit frère
quand elle vit un jeune homme de couleur, d'environ dix-neuf ou vingt ans,
marchant sur la voie devant elle
et allant dans la même direction.
Il ralentit l'allure, elle ralentit aussi ;
il se tournait pour regarder en arrière
fermait les bras sur sa poitrine –
comme s'il la serrait contre lui –
puis les rouvrait ;
et il lui adressa un coup de chapeau.
Quand elle passait de la voie ferrée au chemin de terre qui la longeait
il faisait de même tout en restant devant elle ;
elle ne cessait de passer de l'une à l'autre
et lui de même,
jusqu'à ce qu'elle se trouve à dix mètres environ derrière lui –
quand il fit demi-tour.
Elle prit peur et courut sur un chemin de traverse vers la maison de sa cousine
en tenant son petit frère par la main –
la maison n'était pas visible de là
à cause du blé haut dans le champ –
le jeune homme de couleur courut après elle sur environ vingt mètres
mais à moins de cinq mètres d'elle –
peut-être parce qu'il vit la maison –
il s'arrêta.
Il ne parla pas et elle non plus ;
et quand elle atteignit le porche de la maison
elle se retourna
et le vit qui marchait de nouveau le long de la voie.
II.108 (Blancs et Noirs)
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Un soir il était assis sur un tabouret au comptoir d'un restaurant,
près d'une gare,
il causait avec le propriétaire du restaurant de la meilleure façon de faire le café –
une conversation plaisante –
quand un inconnu entra et s'assit à côté de lui
et, interrompant la conversation, commanda du poisson.
L'inconnu aux vêtements râpés était un peu ivre, peut-être,
et l'homme qui avait parlé au propriétaire du restaurant,
toujours aimable et bavard dit :
« Si vous voulez prendre du poisson à la campagne il vous faut un hameçon d’acier
mais en ville c’est en argent qu’il vous le faut. »
L'inconnu n’apprécia pas –
il pensa, peut-être, qu’on ricanait de ses vêtements râpés
ou de ce qu'il n'allait pas payer le poisson –
et il répondit avec colère.
Avant longtemps chacun des deux faisait tomber le chapeau de l’autre
et, sur le trottoir, il se battaient.
II.251 (-)
*****************************************
Un homme dans la quarantaine
qui partait tôt travailler le matin
avec sa veste sur le bras et un casse-croûte dans l'autre main
s'arrêta un moment
pour regarder deux types de la fourrière sortir de leur camion
à la poursuite d'un chien errant.
Parmi les badauds se trouvaient des garçons
qui commencèrent à rigoler des types de la fourrière
en aboyant comme des chiens.
Un des types de la fourrière – un costaud – énervé,
choisit l'homme là debout à côté des autres
en train de sourire
et le frappa du poing sur la mâchoire
un coup qui l'étendit sur le trottoir en brique –
où il resta évanoui avec une fracture du crâne.
II.195 (personnes et lieux)
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Des deux chambres au premier,
toutes deux ouvraient sur un balcon
qu’on atteignait par un escalier unique,
Madame McCarthy et son fils occupaient l'une,
O'Brien et sa femme l'autre.
O'Brien et le fils de Madame McCarthy
avaient l'habitude de boire ensemble
et faisaient parfois du tapage.
Madame McCathy s'en plaignit à O'Brien
et ils furent bientôt en mauvais termes.
Un dimanche soir, juste après l'allumage des réverbères,
en descendant l'escalier,
O'Brien se tourna et dit à Madame McCarthy –
assise sur le balcon devant sa chambre –
qu'il priait constamment que
la malédiction du Tout-Puissant soit sur elle
et qu'elle en soit paralysée.
Elle répondit à voix basse
qu'elle souhaitait qu'il se casse la jambe.
O'Brien l'entendit
et se retournant au pied de l'escalier
dit : « Si j'entends encore un mot de vous,
je monte
et je vous fiche par-dessus la rampe »;
puis, comme s'il avait décidé de le faire,
il s'élança dans l'escalier.
Madame McCarthy courut dans sa chambre
il la suivit ;
il prit une lourde chope à bière
et la frappa à la tête –
avec une force
à lui enfoncer des morceaux de verre dans la tête
et lui briser le crâne.
I.48 (vie sociale)
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Un menuisier de profession, à présent cinquante-cinq ans, qui avait été
sérieux et travailleur
mais qui s’était blessé et avait perdu deux ou trois de ses doigts,
et n’était plus capable de travailler,
dit à une voisine, une femme de son âge :
« Je ne peux plus travailler. C'est effroyable. »
« Qu'est-ce que vous allez faire ? » demanda-t-elle.
« Faire ? Je vais acheter un orgue de barbarie et vous pourrez venir
avec moi pour danser ;
je vais chanter pour gagner ma vie. »
Elle crut d'abord qu'il plaisantait,
puis comprit qu'il était sérieux :
il avait perdu l'esprit tout comme les doigts.
II.196 (personnes et lieux)
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C’était autrefois une carrière
maintenant presque remplie d'eau.
Pendant l'été, une écume verte se formait à la surface de l'eau ;
de temps en temps on voyait flotter le cadavre d'un chien –
des chiens morts, des chats morts
et des poissons morts sur les bords
et une fois un bébé mort en fut sorti.
Au printemps
dès que la glace avait fondu et qu'il faisait chaud
les algues remontaient à la surface,
la mare était pleine de crapauds-buffles et de grenouilles :
ceux qui vivaient tout près pouvaient les entendre la nuit
et respirer la puanteur de l'eau stagnante.
I.261 (-)
*****************************************
Le jour avait été sombre et pluvieux,
elle et Fuller étaient assis devant le feu
tard dans la soirée
dans la vieille maison sur la montagne
à cinquante mètres de la route.
Ils avaient une bouteille de whisky pour deux
ils avaient bu
et Fuller chantait « Le destin de l'ivrogne ».
I.15 (vie sociale)
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Le jeune homme avait passé la journée
à défricher autour de chez eux :
c'était une petite maison en rondins sans étage
reliée à la route par un sentier
tracé parmi des petits pins et des taillis de chênes.
La maison était éclairée par deux petites fenêtres :
une au nord et une à l'est.
Sa femme – une jeune femme de seize ans
qui avait été fiancée à un voisin,
un homme de soixante ans,
avant d'épouser Peter –
alluma la lampe
et disposa un repas léger sur la table –
du pain et du lait. Le repas terminé,
Peter prit son accordéon sur l'étagère
et s'asseyant juste en face de la fenêtre à l'est
joua "Home, Sweet Home".
Il venait juste de finir de jouer
quand un coup de feu fut tiré du dehors.
Il reçut plusieurs chevrotines dans la tête
et la mort fut si soudaine
qu'il resta assis droit sur sa chaise
avec l’accordéon dans les mains.
I.203 (scènes domestiques)
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Elle était dans un champ de coton
près d'une route
et il sortit des pins
à cinquante mètres de là,
chantonnant et sifflotant et s'adressant à elle.
Il l'appela trois fois
lui demanda qui elle était :
elle restait muette.
La quatrième fois, d'un air plus menaçant, il dit :
« Qui êtes-vous, Madame ? »
Elle répondit : « Qui êtes-vous ? »
« Je m'appelle Jim Skinner », dit-il –
ce n'était pas son vrai nom –
et il poursuivit :
« Le diable vous emporte, si ce que j'ai dit ne vous plaît pas,
je vous colle ça sur la tête », il leva un bâton,
se dirigea vers elle en ajoutant :
« Et ne faites pas votre débile ! »
Elle avait si peur
que d'abord elle n’a pas pu courir
mais ensuite elle a atteint la route
et quand elle l’a vu arriver
elle s’est mis à appeler à l'aide et à courir.
Tout en courant elle regardait derrière :
il n'était qu'à vingt-cinq pas et il gagnait du terrain –
mais alors il fit demi-tour et s'enfuit.
I.116 (vie sociale)
*****************************************
Il avait soixante dix ans et il était sans abri,
séparé de sa femme qui possédait la ferme.
Il lui rendait visite de temps à autre
pour la supplier de partager une partie de son bien avec lui
afin de l'aider –
des visites bruyantes et désagréables
nocives pour sa femme qui avait une maladie de cœur.
Son fils était dans un champ non loin de là
à faire des meules –
car c'était la saison des moissons –
et un garçon, peu avant midi,
courut dans le champ lui dire
de venir à la maison de suite :
sa mère s'était évanouie à la suite d'une visite du père
et on craignait pour sa vie.
Son fils arriva aussitôt
et envoya chercher un médecin en ville.
Son père avait quitté la maison
et allait sur la route, lentement, s'appuyant sur sa canne.
Le vieillard trouva une boîte de conserve cabossée – elle avait été ouverte –
le couvercle découpé et rouillé,
et rampa sous une haie touffue sur le bord de la route
et se trancha la gorge avec le couvercle de la boîte.
Mais il n'avait pas pu faire une entaille assez profonde pour mourir rapidement
et se traîna jusqu'à un puits pour s'y noyer.
Son fils alla plus tard au puits
et trouva le corps de son père flottant à la surface.
A l'enterrement, son frère cadet vit son chagrin et lui dit :
« Tu n'as pas besoin de pleurer : tu es content –
et moi aussi je suis sacrément content. »
II.163 (difficultés domestiques)
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« Je veux vous poser
franchement la question :
a-t-il dit
qu'il avait tué la femme ? »
« Non.
Mais si je dis
qu'il a dit qu'il avait tué la femme,
j’aurai la moitié de la récompense.
Il est aussi bien
à rester en prison
qu’à sortir et se faire lyncher ;
parce que s'il sort
il sera lynché. »
« C'est plutôt dur
de mettre en jeu la vie d’un homme
pour un peu d'argent. »
« Oui,
mais les temps sont plutôt durs
et la vie est plutôt dure pour moi. »
I.76 (propriété)
*****************************************
Tilda n'était qu'une enfant
quand elle commença à travailler chez les Tells.
Sa mère était morte
et son père avait abandonné la maison.
Quand, comme il arrive aux femmes,
elle eut ses premières règles,
elle eut peur
et en parla à Madame Tell :
« C'est mauvais », dit la fermière,
« et dangereux :
tu peux devenir folle et mourir.
Il n'y a qu'une chose à faire : travailler dur !
Travaille aussi dur que tu peux,
et tu guériras peut-être ! »
Elle se levait à cinq heures du matin
et était debout
jusqu'à dix ou onze heures du soir :
elle trayait quatorze vaches chaque jour ;
elle montait de l'eau
pour quarante cochons ;
elle arrachait et portait les pommes de terre
depuis le champ;
elle faisait la cuisine pour huit ;
frottait les parquets
s'occupait des petits –
faisait le travail
que deux filles robustes avaient fait avant elle.
I.60 (garçons et filles)
*****************************************
Jessie avait onze ans, bien que certains disaient quatorze,
elle s'occupait d'un enfant
qui commençait à marcher –
et d’un coup
elle retira les langes de l'enfant
et assit l'enfant sur des cendres chaudes
où l’on cuisait des galettes à la cendre ;
l'enfant hurla,
elle le claqua sur la joue.
I.127 (enfants)
*****************************************
Il faisait presque jour quand elle mit l'enfant au monde,
couchée sur l’édredon
qu'il avait plié en deux pour elle.
Il mit l'enfant sur son bras gauche
et l'emporta hors de la chambre,
elle entendit de l'eau éclabousser.
Quand il revint
elle demanda où était l'enfant.
Il répondit : « là-bas – dans l'eau. »
Il tisonna le feu
retourna avec une brassée de bois
et l'enfant,
et il posa l'enfant mort dans le feu.
Elle dit : « O John, non ! ».
Il ne répondit pas
mais se tourna vers elle et sourit.
I.22 (scènes domestiques)
*****************************************
Le garçon était malade et se mit au lit juste avant le coucher du soleil.
Après le dîner, c'est-à-dire un peu après la tombée de la nuit,
son beau-père quitta la maison pour aller à la ville.
Quand sa mère eut fini de débarrasser,
elle se prépara à prendre un bain dans le hangar qui servait de cuisine.
C'était tout près de la pièce où ils mangeaient
et où l'enfant était couché.
Pendant que sa mère était encore dans le bain,
son beau-père revint et entra dans la cuisine.
Il entendit sa mère et son beau-père commencer à se disputer,
puis un bruit de coups
et un bruit plus fort – un coup de pistolet.
Quand sa mère et son beau-père avaient commencé à parler dans la cuisine,
le garçon s'était couvert la tête de ses draps.
Après le coup de feu, il entendit son beau-père
traîner les pieds sur le sol de la cuisine,
ensuite son beau-père entra dans la pièce
où le garçon était couché
et éteignit la lampe
qui brûlait encore sur la table.
Son beau-père retourna dans la cuisine
le garçon entendit la porte de derrière s'ouvrir
puis se refermer –
et puis pas un son.
I.29 (garçons et filles)
*****************************************
Hank, comme on l'appelait, avait entre six et sept ans.
L'année précédente, sa mère avait épousé Jeff Shallow.
Pendant l'hiver, Shallow, sa femme, et Hank
allèrent vivre dans une cabane en rondins qui n'avait qu'une pièce,
à deux cents mètres environ d'une rivière.
Un jour de mars froid et pluvieux,
Shallow et le frère de sa femme, Bob, fabriquaient des planches
tout près de la maison.
Shallow rentra dans la maison
et commença à se disputer avec sa femme :
il lui dit qu'elle n'avait qu'à s'en aller avec son bâtard.
Le garçon sortit en courant
et se dirigea vers son oncle ;
Hank était nue tête et ses doigts de pied
sortaient par les trous de ses souliers.
Il commença à trembler de froid
et voulait rentrer dans la maison
mais il aurait aimé que son oncle vienne avec lui.
Après un moment il rentra tout seul
mais ressortit aussitôt en pleurant.
Shallow était sur le seuil
et le regardait avec colère.
Un matin d'avril, Shallow et le garçon descendirent à la rivière pour pêcher.
La rivière avait une rive surélevée
qui tombait en pente abrupte jusqu'au sable
avant d'arriver à l'eau.
Shallow rentra à cheval vers midi
sans le garçon
et trouva le cheval de son beau-frère attaché à la clôture de la cour.
Pendant qu'ils attendaient le repas que sa femme préparait,
Shallow et Bob conduisirent les chevaux à l'écurie.
Bob était inquiet pour son neveu
et ne cessait de regarder dans la direction de la rivière.
Il demanda à Shallow où il avait laissé Hank.
Shallow répondit qu'il l'avait laissé en bas en train de pêcher.
Il ajouta : « Il se débrouille pas mal pour un petit garçon »,
puis il dit: « Descendons voir ce qu'il fait ».
Il faisait froid.
Il y avait de la glace dans les ornières,
et la rivière était boueuse et gonflée par les inondations de printemps.
Ils trouvèrent les habits de l'enfant sur le bord –
pantalons, veste, souliers usés, chaussettes et casquette –
descendirent la rivière sur cinquante mètres environ,
et là, ils découvrirent son corps :
un arbre était tombé dans la rivière
et le corps s'était pris dans les racines
si bien qu'il était près de la surface.
Bob et Shallow retournèrent ensemble à la maison.
En passant la porte Shallow resta un peu en arrière,
et Bob dit à sa soeur que Hank était noyé.
Elle cria : « Je le savais ! Je le savais !
Mon coeur a mal depuis deux heures. »
Quand elle aperçut son mari, elle cria : « Oh Jeff ! »
Il la prit dans ses bras
et lui dit : « Tais-toi et ne t'en fais pas. »
Bob se rendit chez deux voisins à travers champs
ils réparaient une clôture.
Ils l'aidèrent à sortir le corps de l'eau.
Il le transporta dans la maison
et le plaça sur les genoux de sa sœur.
Il y avait des traces sur le sable
depuis l'endroit où on avait trouvé les vêtements
jusqu'au bord de l'eau ;
c'étaient les empreintes profondes de souliers d'homme.
Il y avait aussi l'empreinte d'une main d'enfant
et les lignes que les doigts avaient creusées dans le sable,
comme si le garçon avait été poussé dans l'eau
ou bien s'était débattu pour sortir de la rivière
et avait été repoussé dedans.
I.61 (garçons et filles)
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La plainte des veaux
gardés la nuit à l’abattoir
pour être abattus le matin.
I.29 (-)
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« Joyeuse Marguerite,
Fleur de la Saint-Jean »,
neuf ans,
s’avançait le long du chemin
pour ramasser du bois et du charbon
près de la voie ferrée.
La bride du sac
enroulée autour de son bras
qu’elle balançait.
I.57 (garçons et filles)
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