Vaucluse Matin
Une Française et un Égyptien tentent de se rencontrer. Rien ne prédisposait à leur rencontre. Elle vient de Lorraine, lui du Caire. Sur ce qui pourrait être un quai de gare, une salle d’attente, ils sont assis, ne se regardent pas. Juste au-dessus de leur tête, défilent les traductions en français et arabe. Ils entament une conversation qui très vite se heurte aux barrières de l’incompréhension, des préjugés, des interrogations mal formulées, et mal comprises, aux us et coutumes différents dans leur pays respectif, aux conclusions simplistes.
Le voile, la femme, l’homosexualité, la religion, bien sûr. Aucune grande théorie, ni grande envolée. Mahmoud et Nini s’étonnent tout simplement des regards de l’autre, et renvoient les spectateurs à leurs propres préjugés, sans aucun manichéisme. Les séquences, ponctuées de brèves respirations, redonnent souffle au spectateur. Mahmoud et Nini sont deux êtres très dissemblables qui nous ressemblent et nous émeuvent.
Cette pièce tous publics, d’une construction et d’un langage très simples, incite à l’observation, à la réflexion et pose la question essentielle : comment, en bougeant nos regards, rencontrer vraiment l’autre ? Le constat est implacable : il est aussi difficile de bouger que de rester à sa place. L’envie que cela dure plus longtemps, car c’est indéniablement trop court.
15 juillet 2019
New York Times
(…) the best productions Mr. Py programmed this year were as spare as the fringe offerings. (…) Similarly, Henri jules Julien’s “Mahmoud & Nini” requires only two chairs for its actors, Mahmoud El Hadded and Virginie Gabriel. This one-hour dialogue between a gay black Egyptian man and a straight white woman from France sees the characters debate awkward cultural clichés and common misunderstandings, from the Muslim veil to poverty in Egypt, and very often, it hits home.
20 juillet 2019
scèneweb
Mahmoud et Nini balancent leurs préjugés .
Mahmoud & Nini est le genre de pièce qui suscite des questions indiscrètes. « Est-ce que vous êtes gay ? », demande en effet au performeur Mahmoud Haddad un élève venu avec sa classe voir la pièce au Tarmac. À quoi l’artiste répond que d’un commun accord, le metteur en scène Henri Jules Julien, sa partenaire de jeu Virginie Gabriel et lui-même ont décidé de ne rien dire qui puisse éclairer les liens entre réel et fiction dans le spectacle. Que son personnage, comme celui de Virginie, est sur certains plans tout à fait identique à l’interprète, mais qu’il s’en éloigne à d’autres endroits. Grâce à cette ambiguïté, ainsi qu’à un jeu subtil avec les codes du théâtre naturaliste, Henri Jules Julien et les deux comédiens parviennent à élever au-delà des lieux communs leur spectacle sur les préjugés qui pèsent sur les relations entre France et monde arabe.
Assis face au public, à deux mètres environ l’un de l’autre, Mahmoud Haddad et Virginie Gabriel installent d’emblée un climat étrange. Artificiel. Sans s’adresser un regard, comme concentrés sur un objet lointain, ils entament des présentations qui laissent planer un doute sur les circonstances de leur rencontre. Est-elle le fruit du hasard ? A-t-elle été organisée, et si oui, par qui et dans quel but ? Encore des questions auxquelles Mahmoud & Nini ne répondra pas. Et encore une fois, c’est très bien. Détachés de tout contexte, les clichés qu’échangent les deux acteurs sur leurs pays respectifs – l’Égypte pour l’un, la France pour l’autre – apparaissent dans toute leur violence. Ils révèlent aussi l’absurdité d’une mode : l’« idéologie molle de la ‘’rencontre interculturelle’’ », selon les termes de Henri Jules Julien.
Ponctuée de silences et d’éclats de rire impromptus, Mahmoud & Nini interroge non seulement le poids des stéréotypes orientalistes, mais aussi la relation que les mots entretiennent avec le réel. Affichée en direct sur un écran placé entre les deux comédiens, la traduction en arabe ou en français des répliques de chacun met en effet la question du langage au centre du plateau. Lorsque Virginie questionne Mahmoud sur la condition des femmes égyptiennes et sur l’islam, sans écouter ses réponses, on suspecte ainsi toujours un écart entre ses paroles et sa pensée. De même pour Mahmoud qui, après avoir subi l’interrogatoire et les clichés de sa voisine, se lance dans une attaque tissée des préjugés égyptiens envers les Occidentaux. Avec une insistance particulière sur le cas des Françaises à coupe garçonne.
Au fil du dialogue, les deux personnages paraissent à plusieurs reprises sur le point de faire tomber leurs masques. Au milieu d’un tas de généralités, ils se lancent parfois dans une anecdote personnelle. Ils osent un sourire, une danse qui semble annoncer le début d’un rapport nouveau. D’une conversation basée sur l’être et non plus sur des idées préalables. Mais à chaque fois, l’ombre de l’auteur apparaît. En questionnant la liberté des personnages par rapport au texte qui leur est imposé, Mahmoud & Nini se fait pirandellien. Henri Jules Julien, qui a longtemps vécu en Égypte, interroge ainsi subtilement la place et la légitimité de celui qui écrit, son rôle dans la résolution des conflits.
Anaïs Heluin, le 4 avril 2019
Ubiquité culture(s)
Mahmoud et Nini
Elle, c’est Virginie, dite Nini, actrice en Lorraine, lui c’est Mahmoud, danseur-acteur né au Caire, qu’elle appellera Mohamed, par inadvertance. Virginie et Mahmoud sont leurs vrais prénoms. Henri jules Julien les fait se rencontrer, et se raconter, sa démarche est singulière. Eux jouent le jeu, progressivement, et s’exposent. Lui enregistre puis organise la dramaturgie avec l’aide de l’historienne tunisienne Sophie Bessis et du dramaturge marocain Youness Anzane. Mahmoud et Nini ne se connaissent pas mais le cercle des questions-réponses qu’ils s’envoient en aller et retour, en recto et verso, en punching et ball, les met au pied du mur.
Sur scène, assis côte à côte à un mètre de distance, ils jouent au jeu de la vérité, les yeux dans les yeux d’un public témoin et complice. L’adresse est directe. Ils se renvoient la balle et comptent les points, Mahmoud en égyptien, Nini en français, chaque langue prêtant à sur-titrage sur un écran posé derrière eux. Avec l’humour en partage ils traitent de la différence. Deux cultures deux horizons, dialoguent. Le spectacle est construit en courtes séquences, brisées par le silence épisodique d’une dizaine de secondes suspendues. Ces sauts temporels conduisent en sautillant, du coq à l’âne. Qui est le coq et qui l’âne ?
Mahmoud et Nini parlent de leurs origines, de leurs perceptions, de leurs sentiments, de leurs modes de vie, de la vie. Lui, Nubien, autodidacte, issu de Boulaq un quartier populaire du Caire, évoque sa mère, peu instruite, dit son homosexualité, énonce tous les défauts dont on pourrait l’accuser : acteur, gay, noir et exilé. Elle, de Bures, en Meurthe-et-Moselle, dans le Grand Est, un lieu d’enfouissement des déchets radioactifs, dit avoir été barmaid… un péché vu d’ailleurs, les cheveux courts, « comme les lesbiennes » lance-t-il.
Ils déclinent une multiplicité de thèmes et Mahmoud renseigne sur la vie en Égypte : les rendez-vous des hommes au café le soir après le travail pour fumer la chicha, les signes de domination, le rôle des femmes dans la société, leur choix d’être voilée ou non « c’est leur liberté » dit-il. Et il cite sa sœur portant le niqab, sa mère, sa meilleure amie. Sur le sujet, Nini s’enflamme et se révolte contre l’oppression des femmes et contre l’excision. Avec humour et ruse Mahmoud parle des Bédouins, voilés, eux aussi. Ils se questionnent sur la mixité, à l’école, à l’université, se tendent des pièges et mettent à jour leurs différences tout en énonçant un long catalogue de stéréotypes entre danse du ventre et couleur de peau. Et debout sur la chaise, lui se met à danser, comme un Pharaon, long et digne.
La causerie est une dentelle pleine de rires, boutades et quiproquos, de pièges et de pirouettes. La curiosité de l’autre pour l’une, ou pour l’un, l’esquive et l’humour, sont autant de fenêtres qui déjouent la cruauté du tableau, léger comme une plume au vent. « Tu es une vraie caricature » lui dit-il amusé, quand elle révèle son intérêt pour les autres, toujours prête à aider. « Une conne » se dit-elle, devant lui tout sourire. Et Mahmoud de se dévoiler : « Je joue l’Arabe en Europe… mais la France me sauve… »
Dans ce jeu de la vérité où distance et convention théâtrale protègent, ce spectacle bel esprit, un peu tragédie, souvent comédie, parfois bande dessinée, a la puissance du persiflage ou de la gaîté philosophique, à la Voltaire. Tissé de la vérité de chacun, il donne un crayonné sur les manières de vivre et de penser, dans deux espaces et pays différents où les modes de vie se déclinent selon les zones de liberté délimitées par la société. Henri jules Julien connaît l’Égypte, où il a vécu. Depuis une quinzaine d’années, d’une manière subtile et osée, il promène sa pointe de plomb sur les chemins de la création, de manière improbable et iconoclaste. Ce talentueux concepteur, metteur en mots et en scène, démine les maux, clichés et tabous, mine de rien, et c’est très réussi !
Brigitte Rémer, le 8 avril 2019