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Entretien pour ArabLit.org

 

Rasha Omran : Désormais pour moi la mort n'est plus abstraite (extrait)

Kim Echlin : Avant la guerre et votre exil, écriviez-vous sur les mêmes sujets ?

Rasha Omran : Non, jamais. C'est la première fois que j'écris sur l'isolement et la solitude d'une femme seule. Avant j'écrivais sur la mort, mais d'un point de vue abstrait. Désormais la mort pour moi n'est plus abstraite. J'ai vu des jeunes tués sous mes yeux. Leur sang a taché mes vêtements. Ma mémoire retient l'odeur de leur sang. Je peux voir les gens de mon pays mourir à la télévision. La mort n'est plus abstraite. C'est un fait.

De plus, pour la première fois de ma vie, je vis seule. Je suis seule depuis sept ans maintenant. Totalement seule ! Avant cette période, j'ai toujours vécu avec quelqu'un, ma famille ou ma fille. Et j'étais quotidiennement entourée d'amis. Tout au long de ces dernières années, j'ai été complètement et littéralement seule. C'est la première fois que je comprends la signification de vivre seule, des différentes peurs, de la façon dont les obsessions sont amplifiées et multipliées, des sensibilités plus intenses. Psychologiquement aussi je suis seule. Une femme, au début de la cinquantaine, se trouve dans une phase dangereuse, psychologiquement. C'est une période de changements hormonaux qui peuvent modifier complètement son humeur. Pour moi, c'est une réelle opportunité d'écrire sur cette condition. En plus d'échecs successifs en amour, et un sentiment croissant de la perte rapide de tout ce que j'aime et adore. Pourrait-il y avoir un sujet plus tentant pour la poésie ?

 

Kim Echlin : Votre beau recueil de poésie, « Celle qui habitait la maison avant moi » utilise le thème d'une femme seule et exilée qui vit dans un appartement où elle sent la présence d'une femme qui était là avant elle. Voyez-vous cela comme une poésie de l'exil ?

 

Rasha Omran : Je ne sais vraiment pas si c'est de la poésie de l'exil. Je suis exilée de mon pays. Les autorités m'ont ordonné de quitter la Syrie. Mais je vis dans un pays qui ne m'est pas étranger (l'Égypte), ni dans la langue, ni dans la coutume, ni même dans l'humeur des gens. Le concept d'exil, je crois, s'accompagne généralement d'un sentiment d'aliénation. Je ne me sens pas aliéné en Égypte. Je ne me sens pas étrangère. Mais si j'avais été dans mon pays à cet âge, aurais-je écrit sur ma solitude ? Je n'en suis pas sûre. J'ai tendance à penser que non. Ce recueil pourrait donc être inclus dans la poésie de l'exil.

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